Sexualité, érotisme, sensualité... Comment articuler ces notions ?
- carnalmassages
- 3 nov. 2024
- 5 min de lecture
Les notions de sexualité, d'érotisme et de sensualité semblent partager un écosystème dans lequel elles coexistent de gré ou de force ; quand elle ne sont pas employées ensemble - au point d'être perçues comme interchangeables - on tente de les différencier les unes des autres à tel point qu'on frise l'opposition et l'exclusion mutuelle. Il y a bien une tension paradoxale dans l'utilisation de ces termes, qu'ils soient pris isolément ou compris dans un champ lexical plus large.

La sensualité désigne ce qui se rapporte aux cinq sens comme mode d'appréhension du monde, comme moyen perceptif. La sensualité est comprise comme relevant des délices du corps par extension et par habitude culturelle ; on finit par réduire la sensualité à son acception de luxure et à sa connotation de séduction en raison d'une longue tradition philosophique qui la discrédite au fil des siècles, et en sa qualité de moyen de connaissance du monde, et en tant que d'emblée fautive moralement puisque témoin de la corruptibilité humaine. Qu'elle soit entendue comme répréhensible ou non, la sensualité a une acception très large, puisque que strictement, est sensuel aussi bien l'amateur de bonne chaire, que le mélomane ou le féru de peinture. Contrairement à cette définition qui ramasse une telle diversité de phénomène, la compréhension de ce qu'est la sexualité est manifestement plus restreinte. Quoi qu'elle ait véritablement des sens plus complexes que ceux que l'on admet communément, elle semble porter un sens plus direct, pointant dans la direction du rapport sexuel compris comme centré sur la génitalité. Si la sensualité semble être la définition qui admet le plus large nombre de phénomène, et la sexualité celle qui apparaît réduire le plus sérieusement la multitudes de phénomènes concernés, l'érotisme semble être la définition la plus vague, à un point tel qu'il paraît presque abusif de parler de définition. L'érotisme semble en appeler à une notion commune diffuse, admise de tous sans concept réel. L'érotisme semble avoir plutôt un fort pouvoir évocateur - toujours subjectivé - qu'une définition stricte et directement appréhendable.
Considérations théoriques (et essentiellement personnelles)
Les rapports logiques et symboliques entre ces trois notions sont suffisamment riches pour être le sujet de nombreux ouvrages, traversant de nombreuses disciplines - et je serai ravie de partager ma bibliographie sur le sujet avec les curieuses et curieux - mais je devrais me contenter de résumer ici mes réflexions personnelles sur ces rapports et sur ce que j'estime être important dans l'articulation de ces notions. Par articulation, j'entends une compréhension globale qui met en évidence les rapports systématiques de ces notions. Dit moins verbeusement, ces notions ne se pensent ni séparément, ni en opposition, ni en strict rapport d'équivalence. Elles fonctionnent nécessairement de concert sans jamais valoir pour une autre. Et - plus important il me semble - un compréhension pauvre de l'une entraîne une compréhension pauvre des deux autres.
Quelques mots d'abord sur l'illégitimité de vouloir séparer fermement ces notions : cette perspective et toujours utilisée lorsqu'il est question de valoriser l'une des trois notions par rapport aux deux autres. Bien souvent, dans une sorte de pédantisme des penchants charnels, on tentera de faire apparaître la sensualité et/ou l'érotisme comme supérieurs en finesse, en nuances et en délicatesse, à la sexualité - comprise comme régression animale et limitée à la question du coït. La faiblesse conceptuelle d'une telle position émerge d'elle-même ; à vouloir hiérarchiser, à vouloir séparer hermétiquement, on appauvrit tout l'écosystème. On voit ici assez clairement à quel point penser la sexualité sans l'érotisme et la sensualité en fait une notion vide et peu opérante tant elle est limité dans son applicabilité. Inversement, penser l'érotisme comme détachée d'une sexualité dite animale, en pensant lui ajouter ainsi un supplément d'esprit, l'éloigner de la bassesse du corps, en faire le pinacle de l'humanité, le vide de sa corporéité, de sa matérialité et de sa texture, en en faisant ainsi, et très étrangement une notion pieuse, plus proche du puritanisme que du sacré.
Il faut également souligner le problème que pose la confusion et la substitution de ces termes les uns avec les autres. A titre personnel, même s'il est bien question d'un manque de rigueur, cette tendance me semble tout de même moins dommageable que la précédente, car elle n'engage pas le jugement de valeur qu'exige la hiérarchisation. Pourtant, elle empêche de voir les rapports fertiles qu'entretiennent ces différentes attitudes face au plaisir, comment ces différents mode d'appréhension de soi et de l'autre dans la luxure peuvent faire émerger des profusions de phénomènes virtuellement infinies, dans leur multitude comme dans leur extrême diversité. Confondre, c'est (comme son nom l'indique, je ne vais même pas si loin dans ce raisonnement) risquer d'écraser une multiplicité.
Etant limitée par le format de cet article - que je ne veux pas (trop) assommant - je me comporte en bon sophiste et je ne donne pas véritablement de définition de l'érotisme, me contentant à peine de dire ce qu'il n'est pas ou ce qu'il ne doit pas être. Non pas que l'envie me manque, bien au contraire, et je pense mettre à profit les éléments bibliographiques susmentionnés dans de prochains articles sur ces questions... en espérant que ces élucubrations lancées dans l'océan digital trouvent des lecteurs préoccupés par des questionnements similaires.
Répercussions pratiques
Ces tergiversations n'ont pas (seulement) pour but de ma divertir un dimanche soir, elles ont un intérêt pratique évident : si bien pour moi en tant que professionnelle que pour vous, client.e.s potentiel.les de travailleuses du sexe. Pour ma part, c'est une réflexion essentielle à la façon dont je conduis ma pratique, ma façon de la penser, de la concevoir, de l'exécuter, de la faire évoluer, d'en voir l'effectivité ou au contraire d'en repérer les faiblesses... Pour celles et ceux qui ont recours aux service des TDS, comprendre votre propre rapport à ces notions vous permettra d'abord de mieux cibler les services qui vous conviennent, mais aussi de mieux choisir la personne qui sera à même de vous rendre ces services. Comprendre et réfléchir à la façon dont vous articuler ces notion pour vous mêmes, c'est par extension mieux cibler vos attentes, et pouvoir reconnaître la possibilité (ou l'impossibilité) de résonnance avec une professionnelle. Bien souvent, nous lisons dans votre tête - du moins nous essayons - les désirs et les attentes que vous n'êtes pas à même de formuler. Ceux qui vont au delà du service demandé, ce qui se trouve toujours en filigrane de la demande manifeste. Cette partie plus nébuleuse mais bien présente de l'échange renvoie en vérité à votre propre rapport à la sexualité, à la sensualité et à l'érotisme, et apprendre à lire dans votre propre tête à ce sujet vous assurera à coup sûr des échanges en plus satisfaisants. Il n'est bien sur pas exclu que cette reflexion naisse en rencontrant votre professionnelle, et qu'elle vous accompagne dans ce que vous avez la volonté d'explorer et de questionner
Comments